Claude Rousseau, ou Le triomphe de l’école Camps
Il n’est jamais aisé de parler d’une légende. Que Claude Rousseau ait été, de ses débuts aux côtés de Joseph Camps jusqu’à son départ à la retraite au début des années 2000, un tailleur français, chacun s’en convaincra volontiers ; qu’il ait été l’un des rares grands maîtres de l’art tailleur français, voilà ce qu’il convient d’expliquer.
Moins connu que Francesco Smalto, qui le considérait comme le plus grand tailleur de la place de Paris (la réciproque vaut également), Claude Rousseau est d’abord, comme Smalto, comme Urban, comme Ungaro, un élève de M. Camps, tailleur hors pair, et, surtout, infatigable ingénieur du vêtement.
Natif de Vic (province de Barcelone), Joseph Camps s’était installé en France à la fin de la Guerre, après avoir appris son métier en démontant les costumes des meilleurs tailleurs espagnols de l’époque. Figure majeure du Groupe des Cinq regroupant à l’origine André Bardot, Socrate, Di Nota, Gaston Waltener et lui (Max Evzeline ayant rejoint le groupe un an plus tard, en 1957), il passait à juste titre pour un génie de la coupe.
Tout le monde garde en mémoire les photos de Hassan II, habillé par Smalto, mais il faut savoir que le premier tailleur du prince Moulay El-Hassan, futur roi du Maroc, et de son père, Mohammed V, était Joseph Camps. À cette époque, deux apiéceurs se partageaient le travail dans une chambre de bonne : Claude Rousseau et Henri Urban.
L’histoire a été maintes fois racontée. En 1962, Francesco Smalto quitte Camps et les Champs-Elysées pour s’installer rue de Miromesnil, emmenant avec lui le commercial, le vendeur… et une bonne partie des clients, à qui il avait pris soin d’envoyer un faire-part.
Coupeur apprécié, associé à tous les essayages, Claude Rousseau est d’abord approché par Hassan II pour devenir son interlocuteur exclusif. Mais Joseph Camps, désormais méfiant, s’y oppose, et c’est Smalto qui, quelques mois plus tard, remportera la mise.
La suite ? Henri Urban s’installe à son compte en 1967, Claude Rousseau fera de même en 1970. En 1969, M. Camps, en proie à des difficultés de gestion, s’est associé à Mario de Luca pour former le duo Camps de Luca. Une nouvelle ère s’ouvre.
Ci-dessous, un modèle de Joseph Camps, années 1960.
Claude Rousseau, le costume croisé à l’honneur
Si Claude Rousseau était capable de réaliser tout type de pièces (des plus classiques aux plus créatives, on lui doit notamment les premières vestes sport mises en avant par Cifonelli suite au rachat de sa maison par ce dernier), il était surtout connu (et recherché) pour ses costumes croisés, modèle d’équilibre, de style et de confort. Influencé par le style américain des années 1930 et 1940 (popularisé, notamment, par la revue Apparel Arts), Claude Rousseau s’attache à en donner une vision plus raffinée, moins « mastoc » – et je ne parle pas seulement des finitions. Les images qui suivent parlent d’elles-mêmes. Je mets au défi 95% des tailleurs actuels d’accorder des carreaux de cette manière et de produire un travail aussi net.
Ci-dessous, Ariel Wizman et Claude Rousseau, séance d’essayage, rue Royale, à l’atelier. On aura remarqué que, à l’instar de Camps de Luca et de Brahim Bouloujour aujourd’hui, M. Rousseau utilisait une veste d’essayage pour la prise de mesures – un héritage de M. Camps qui, contrairement à ce que semble penser un Simon Crompton, ne tire pas le bespoke du côté de la demi-mesure (un patronage individuel est réalisé, sur lequel on reporte les altérations une fois que la première veste est au point) mais permet de gagner du temps en rationalisant le processus. À l’époque où a été prise cette photo (1986), 50 pièces sortaient de l’atelier tous les mois.
Sur le cliché ci-dessous, le tailleur s’efface devant son client – en l’occurrence, un très grand collectionneur de costumes. Dire que le profil des clients en grande mesure a changé est un euphémisme. Quel grand patron, quel homme politique de premier plan ose encore assumer son statut par le vêtement ?
Photo suivante : Martin Bouygues (source : PurePeople).
Quelques photos d’archives, témoignages de l’évolution du style au cours des années 1970 et 1980. Bien avant Internet et Instagram, certains grands noms de la couture avaient déjà leur « ambassadeur » attitré.
Manteau croisé. Fluidité des lignes et confort palpable.
Veste sport à poches plaquées à soufflet. Comme le diable, le tailleur est dans les détails.
Veste sans revers à poches plaquées, milieu des années 1990. Un exemple parmi d’autres de la palette très vaste de Claude Rousseau. Je ne serais pas étonné que ce type de veste soit à nouveau plébiscité dans les mois qui viennent. Reste à savoir qui sera capable de la rééditer.
Les Ciseaux d’or, distinction remportée par Claude Rousseau en 1997.
Très bel article qui reflète la réalité d’un tailleur d’exception. J’;ait la chance de porter ses creations et j’ensuit très fier. Une qualité de travail, un souci du detail pour atteindre la perfection du costume.
C’est avec beaucoup de joie que j’ai pris connaissance de ce reportage, de Monsieur CAMPS à Monsieur ROUSSEAU. C’est au sujet de ce dernier que j’aimerais m’exprimer, le connaissant depuis la maison CAMPS par l’intermédiaire de mon mari qui y travaillait comme apiéceur. Lorsque Monsieur ROUSSEAU se mit à son compte, mon mari l’a suivi ainsi que moi-même par la suite, ceci jusqu’à la cession de sa maison à CIFONELLI. J’ai toujours dit autour de moi : » Monsieur ROUSSEAU mérite la première place parmi les tailleurs, aussi bien pour le style que pour son travail exemplaire visant toujours la perfection pour satisfaire ses clients. Et il a en même temps du respect et de la reconnaissance pour ses employés ». Nous étions fiers de lui car il reste une excellente référence pour l’avenir.
J’ai eu l’honneur de travailler avec Monsieur Rousseau pendant de nombreuses années. Le plaisir aussi, c’est un Monsieur qui savait toujours tirer vers le haut le meilleur de son personnel.
Nous étions aussi satisfaits que lui lorsque le client était content, ce qu’il ne manquait jamais de nous faire part.
Hélas, je ne connais pas d’autre tailleur qui ait la maitrise de la coupe, de la creation ,du détail, qui signe un beau costume.
Il savait adapter ses costumes aux différentes morphologies,ce que bien peu de tailleurs connaissent.
Merci Monsieur ROUSSEAU.
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