Ancient madder : cravates, garance et motifs Paisley

Ancient madder tieLes Ancient madder ties, une spécialité anglaise

Amateur des cravates dites Ancient madder, j’ignorais tout jusque-là de leur histoire et de leur fabrication. Je savais simplement qu’il était difficile d’en trouver de belles en France, qu’une rumeur les disait peintes à la main et qu’en Angleterre une maison récente, Drake’s pour ne pas la nommer, en proposait dans des coloris parfois audacieux. Mais commençons par le commencement, à savoir le nom de ces cravates. Pourquoi madder ? Parce que madder, en anglais, désigne la garance, plante de la famille des Rubiacées dont les racines et les rhizomes sont connus depuis la plus haute Antiquité pour leurs propriétés tinctoriales. Pourquoi ancient ? Parce que la garance des teinturiers (Rubia tinctorum, en latin), a longtemps constitué l’unique colorant rouge pour tissus, avant que ne soit utilisé le kermès.

Parce que les cravates Ancient madder mettent souvent à l’honneur le motif Plaisley, celui-ci est quelquefois tenu pour le signe distinctif desdites cravates, ce qui relève à tout le moins d’une erreur de jugement. Car ce qui caractérise les tissus en soie Ancient Madder est moins leur dessin (composé, au choix, de motifs Paisley ou de fins décors géométriques) que leur aspect, leurs teintes, dus à un procédé de coloration unique.

Prenons les choses par le côté esthétique. Les cravates garance présentent un aspect doux, éteint, presque poudreux. Leurs couleurs sont profondes, sourdes : rouge rubis, grenat, jade, moutarde, bleu indigo, bleu moyen. J’emprunte ici à Bruce Boyer, théoricien des élégances, les quelques éléments techniques dont je dispose. La soie, un twill gomme, est bouillie pour en éliminer les impuretés puis teinte au cadre, avant d’être plongée dans une solution à base de gomme qui lui donne sa main caractéristique. Pour mémoire, la teinture au cadre repose sur le même principe que le pochoir. La soie blanche est tendue sur une table. L’imprimeur place de la couleur dans le cadre préalablement posé sur la soie et l’étend à l’aide d’un racle. La couleur traverse les mailles de gaze du cadre, laissant appaître les motifs couleur par couleur. De nos jours, l’impression numérique a remplacé l’impression traditionnelle au cadre, qui signe encore les vraies cravates Ancient madder, de même que la garance, dont l’agent colorant, l’alizarine, n’est plus extrait chimiquement depuis que deux chimistes anglais sont parvenus à le synthétiser. C’était en 1869.

Motif Paisley, motif BotehMotif Paisley, motif Boteh, motif cachemire

Aussi ésotériques soient-elles, ces trois expressions recouvrent en réalité la même chose. Le motif Paisley (parfois nommé « motif cachemire ») doit son nom à l’ancien bourg royal de Paisley, en Ecosse, important centre de tissage où il fit son apparition au cours de la première moitié du XVIIe siècle par le biais de la British East India Company. Nous y reviendrons. Il s’agit originellement du motif Boteh, né il y a plus de deux mille ans dans l’ancienne Perse (aujourd’hui l’Iran). Boteh est un mot persan signifiant « buisson », « arbuste », « ronce », « herbe », etc. Certains vont jusqu’à faire du boteh une feuille de palmier, un bouquet de feuilles, un bourgeon de fleur, ou, poétiquement, une goutte d’eau, une larme de Bouddha ou un cyprès caressé par le vent. On rencontre fréquemment en Perse le motif Boteh sur des tapis, et en Inde, sur les saris, les mehendis et toutes sortes d’objets de décoration. Il fait partie intégrante de la culture du foulard au Cachemire, où il a été introduit à la fin du XVe siècle.

De toute évidence, l’histoire du motif Paisley devrait nous faire réfléchir au rapport que nous entretenons avec la préservation de nos savoir-faire. Quand l’Europe découvre les foulards importés du Cachemire, elle en fait aussitôt le commerce, ce qui a pour effet d’asphyxier l’offre. Les tisseurs anglais et hollandais ne tardent alors pas à produire des imitations de moindre qualité limitées à deux couleurs (l’indigo et la garance). Les tisserands d’Edimbourg et de Norwich commencent à produire des imitations de châles (shal en persan) en 1790 et 1792. Ceux de Paisley les rejoignent bientôt et mettent au point un procédé leur permettant d’utiliser cinq fils de couleurs différentes. Alors que les châles en provenance du Cachemire arrivent par bateau à Londres, les Ecossais sont capables de les copier fidèlement en à peine huit jours, et ce pour une fraction de leur prix. Paisley devient alors la référence européenne du motif Boteh (elle emploiera, au plus fort de son activité, 6000 artisans et apprentis). Cette expansion cependant va vite tourner court, avec l’introduction de métiers à tisser Jacquard semi-automatiques qui rend la production locale moins compétitive. L’organisation du travail change, transformant les artisans en ouvriers spécialisés ; les techniques se perfectionnent. En 1860, les usines de Paisley sont capables de produire des châles comportant quinze couleurs différentes (contre soixante pour les modèles originaux). L’apparition de l’impression sur tissu finira par avoir raison de son savoir-faire.

Sous le règne de la reine Victoria, certains châles du Cachemire tissés à la main atteignaient le prix d’une petite maison et se transmettaient d’une génération à l’autre.

Oublié pendant trois quarts de siècle, le motif Paisley renaît au début des années 1960, associé au mouvement hippie (souvenons-nous de la Rolls Royce Phantom V de John Lennon), avant de connaître une nouvelle éclipse : trop daté, trop connoté. Il revient aujourd’hui, mais plus subtil, plus sophistiqué. Plus question pour personne d’en faire un usage inconsidéré. En Italie, le grand spécialiste de l’imprimé Paisley est la marque Etro, à l’origine fabricant de tissus pour la maison, qui le décline sur tous types de supports (robes, sacs, foulards, maillots de bain) et en a même tiré un parfum. Et les cravates Ancient madder dans tout cela ? Il est assez rare d’en trouver d’authentiques, même s’il existe une ou deux adresses du côté de Naples. Je ne désespère d’ailleurs pas de convaincre un artisan local d’en fabriquer.

Ancient madder tieAvec quelle veste, avec quel costume porter une cravate Ancient madder ?

D’abord, il y a l’usage anglais. La cravate Ancient madder habille depuis longtemps le cou de la gentry britannique, habituée à la porter à la campagne assortie d’une chemise à carreaux Tattersall Check et d’une veste en tweed. Depuis les années 1930, elle est présente également sur les campus universitaires, où, grande rivale de la cravate club, elle joue à plein son rôle de marqueur social. Frank Sinatra collectionnait les cravates garance. Il en possédait, dit-on, plus de cinq-cent. Là aussi, l’usage américain reconduit le tweed (pour un effet moins casual qu’intellectuel). Les Italiens, comme toujours, osent davantage de mélanges, comme l’attestent deux des trois propositions ci-dessous. Il faut dire que la cravate garance est facile à marier : chemise blanche, fines rayures, elle rehausse discrètement votre tenue, y ajoutant une légère touche de distinction. Pour un vendredi chic, offrez-lui une chemise à col italien en denim fin. Effet garanti.

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